Cela faisait trois mois que j’étais revenue à Forks. Pourtant, j’étais toujours surprise lorsque je mettais le nez dehors du contraste de la météo avec Phoenix. Même lorsque qu’il y avait du soleil, on avait l’impression que celui-ci était timide et inoffensif pour la peau. Au moins, je ne risquais pas de me ruiner en crème solaire.

Je commençais tout doucement à prendre mes marques et mes petites habitudes. Le bénévolat à l’hôpital les lundis, mercredis et vendredis. Le samedi, je me rendais souvent à la bibliothèque, afin de faire le plein de lecture pour la semaine suivante. Les dimanches, je rendais généralement visite à Jacob, à la Push. Charlie en profitait pour passer du temps avec Billy de son côté.
Charlie… je me demandais comment il avait pu survivre seul toutes ces années, notamment niveau nourriture. Je crois que sa cuisine n’a jamais autant servie que depuis que je me suis installée sous son toit. Tous les soirs je m’attèle à préparer un bon diner. Je crois même que j’y prends plaisir.
La rentrée des classes approchait et je stressais déjà à l’idée de devoir m’intégrer. Jacob lui allait au lycée de la Push. Dommage, car même si on n’était pas dans la même classe car il était plus jeune que moi, au moins j’aurais eu un allié dans la jungle lycéenne. Au moins il y avait Alice Cullen. J’ai rapidement sympathisé avec ce drôle de petit lutin à l’hôpital. Elle est un peu « bizarre » et excentrique, mais tellement gentille et drôle. Difficile de ne pas l’aimer. Mais je ne me leurre pas, les Cullens forment un clan très fermé, et au lycée, je suis persuadée qu’elle privilégiera ses frères et sœurs d’adoption à une pauvre file paumée et mal dans sa peau.

Et Edward ? me souffla une petite voix dans un coin de ma tête. Mon cœur se mit à battre un peu plus à l’évocation du plus mystérieux des garçons que je connaissais. Son visage s’imposa à mon esprit mais je le chassais bien vite. Edward Cullen ne dérogera pas à la règle, il aura bien mieux à faire qu’à s’intéresser à mon misérable sort.
Bref, ce fut avec ses apitoiements sur ma propre existence que je me rendais à la bibliothèque de Forks, au volant de mon vieux pick up rouge. Forks n’était une grande ville, et j’arrivais bientôt sur le parking du bâtiment. Je n’aimais guère les manœuvres, ma maladresse se démontrant au nombre de bosses sur la carrosserie. Fort heureusement, le parking était désert me rendant la tâche beaucoup aisée qu’à l’habitude. Après avoir vérifié que le frein à main était tiré, je descendis de mon char d’assaut, et claquais la lourde portière. Ma sacoche remplie de livres à rendre sous le bras, je pénétrais dans la bibliothèque d’un pas décidé.

Une fois à l’intérieur, au milieu des rayons, j’appréciais à sa juste valeur le calme et l’odeur des vieux livres. Je n’avais plus la notion du temps dans ces cas là. Je trouvais un vieil exemplaire de Roméo et Juliette. Assise en tailleur dans un coin entre deux rayons, je me plongeais dans ma lecture, ne prêtant plus aucune attention à ce qui m’entourait…

Les messagers d'amour devraient être des pensées, plus promptes dix fois que les rayons du soleil, qui dissipent l'ombre au-dessus des collines nébuleuses. Aussi l'amour est-il traîné par d'agiles colombes ; aussi Cupidon a-t-il des ailes rapides comme le vent. Maintenant le soleil a atteint le sommet suprême de sa course aujourd'hui ; de neuf heures à midi il y a trois longues heures, et elle n'est pas encore venue ! Si elle avait les affections et le sang brûlant de la jeunesse, elle aurait le leste mouvement d'une balle ; d'un mot je la lancerais à mon bien-aimé qui me la renverrait d'un mot. Mais ces vieilles gens, on les prendrait souvent pour des morts, à voir leur inertie, leur lenteur, leur lourdeur et leur pâleur de plomb.



Une voix féminine m’arracha à ma lecture, me faisant sursauter par la même occasion. Absorbée par l’œuvre de Shakespeare, je n’avais même pas remarqué la présence d’une autre personne à côté de moi. Elle aurait aussi bien pu me tomber dessus, je n’aurais pas plus réagit.
Un peu déboussolée et prise de court, je redressais la tête afin de voir mon interlocutrice. Elle était jeune, jolie et – ce que je remarquais surtout – elle avait le teint aussi blafard que moi. Décidément, Forks était le repère des gens à la peau pâle. J’esquissais un sourire poli, me creusant la tête afin de me rappeler où pouvait être le rayon épouvante dans cette bibliothèque.

« Euuh…. C’est un peu plus dans le fond sur la droite… je crois… »

Mentalement, je vérifiais que je ne confondais pas ma gauche de ma droite. Le genre d’étourdissement qui m’arrivait fréquemment. Quelque chose chez cette fille éveillait cependant ma curiosité. Comme un air de déjà vu, même si cela n’était pas possible.

Elle est belle, et sa peau est très blanche….

Les Cullens ! Mon cerveau me tira une petite sonnette d’alarme. Elle me faisait penser aux Cullens. Était-elle apparentée à eux ? Après tout, ce n’était peut être pas impossible.

« Désolée, ma question peut sembler étrange, mais…. Tu ne serais pas de la famille du Dr Cullen par hasard ? »

Je trouvais ma question stupide à peine une fois posée, mais trop tard. Ce ne serait pas la première fois que j’aurais l’air d’une idiote face à un ou une inconnue.

Je souris à sa remarque. Cette jeune fille était extrêmement perspicace. C’est alors que soudain, un seul nom me vint aux lèvres : Isabella Swan. J’avais déjà entendu les Cullen en discuter entre eux, et brusquement, l’intérêt que je portai à la jeune femme, fut… comment dire… grandissant. Alors, laissant échapper un de mes rires cristallins, je plongeai mes yeux rubis dans les siens chocolats avant de lui répondre :

_ Non, je ne suis pas de sa famille même si je connais très bien Carlisle. On va juste dire… que je suis une bonne amie du plus jeune : Edward Cullen. Je suppose que tu dois le connaitre ?

Je me remis à sourire, amusée par la perspicacité de mon interlocutrice. Généralement, je ne tuai les humains que pour me nourrir ou… si on m’offrait une très belle somme d’argent. Alors là, j’allais juste me montrer gentille, comme je l’étais habituellement. Gracieusement, je m’assis à côté d’elle, et regardai le bouquin. Roméo et Juliette, un classique de la littérature.

_ Roméo, O Roméo ! Pourquoi donc es-tu Roméo ? Renies ton père et abdiques ton nom, et si tu ne veux pas. Oh jure d’être mon amour, et je cesserai d’être une Capulet.

J’avais dit ces vers, sans forcément prêtée attention à l’humaine. Ensuite, je laissai mes yeux se perdre dans les rayonnages, me souvenant de ma dernière rencontre avec Démétri. Ce même Démétri donc j’étais follement et irrévocablement amoureuse. Ne laissant rien paraitre, je secouai ma longue crinière blonde et me tournai de nouveau vers la supposée Bella Swan.

_ Oh fait, je ne me suis pas présentée. Quelle maladroite ! Je suis Elinor Lee, mais tout le monde me surnomme Eli ou Lily, c’est comme tu préfères. Et toi, je suppose que tu dois être Isabella Swan ?

Je ne sus pas pourquoi, mais je sentais que j’allais m’entendre avec cette petite. Après tout, elle n’était pas qu’une humaine comme les autres…

Depuis que j’étais revenue à Forks, je me sentais de plus en plus banale et terne. A croire que tous les habitants de la petite ville étaient comme les Cullens, beaux, charismatiques, avec une peau d’albâtre et des yeux aux teintes… changeantes. Ou bien peut être que j’avais le don de les attirer ? Après tout, niveau carnation, je n’avais rien à leur envier. La demoiselle, souriante et gracieuse, prononça alors le nom d’Edward, de sa voix chantante. Illico, mes joues s’empourprèrent. Je baissais la tête afin de dissimuler mon visage derrière mes longs cheveux. Une bonne amie à lui hein…
Sans me laisser le temps de répondre, elle s’assit à mes côtés tout en dirigeant son attention sur mon livre.

« Je… oui. Je connais Edward… enfin de ce qu’il me laisse connaître de lui en tout cas… » murmurais-je. En effet, il s’entourait tellement de mystère et était tellement secret, contradictoire, que je ne pouvais guère affirmer le connaître. C’était plus mon instinct qui me guidait avec Edward Cullen.
L’inconnue se mit à citer des vers célèbres de l’œuvre de Shakespeare. J’étais sous le charme de sa voix douce et mélodieuse. Jamais ces vers ne m’avait paru aussi vivants qu’à cet instant précis. Elle-même semblait vivre littéralement cette réplique en la prononçant. Je me tus, ne voulant pas briser ses pensées. Mon esprit en fit de même, m’imposant le visage et la voix d’Edward. Il était comme un aimant pour moi. Une part de moi-même. Le seul hic, c’est que j’ignorais totalement si cela était réciproque. Il était tellement… bizarre. Non, contradictoire. Lunatique. Changeant. Mais quelque chose me disait qu’il ne luttait pas contre moi, mais contre lui-même. Que cachait il donc ainsi ?
En quelque sorte, le fait qu’elle connaisse bien les Cullens et Edward était une aubaine pour moi. Peut être pourrais je ainsi en apprendre plus sur mon ténor à la chevelure cuivrée.

_ Oh fait, je ne me suis pas présentée. Quelle maladroite ! Je suis Elinor Lee, mais tout le monde me surnomme Eli ou Lily, c’est comme tu préfères. Et toi, je suppose que tu dois être Isabella Swan ?

Je lui répondis par un franc sourire. Je la trouvais sympathique. Le fait qu’elle connaisse mon nom ne me surpris pas outre mesure. Alice – ou Edward ? – lui avait probablement parlé de moi.

« Oui, tu as vu juste. Mais appelle-moi Bella. » Je hochais la tête. « J’espère que l’on t’as parlé de moi en bien au moins. » ironisais-je, avec une petite appréhension néanmoins. « Si on t’as dit que j’étais gauche et maladroite, çà c’est vrai par contre. »

Rien de tel que l’autodérision il parait. J’étais passablement nerveuse en me demandant qu’est ce que les Cullens avait bien pu raconter à mon sujet.

C’était bizarre ! J’étais là, à côté d’une humaine, d’un potentiel repas en train de faire la conversation avec elle. Cette Isabella – pardon Bella – m’intriguait cependant. Je savais que quoique je fasse, elle serait sous mon charme. Alors qu’en vérité, je n’étais qu’un monstre venu m’installer à Forks pour avoir la paix, et en fait, j’étais en train de causer avec une banale humaine de littérature et mecs. Il est évident qu’elle avait un faible pour Edward Cullen. Et apparemment, c’était réciproque !

Je soupirai et préparai une réponse digne d’Elinor Lee dans ma bouche afin de lui répondre correctement.

_ Je mentirai si je disais que l’on ne m’avait pas parlé de toi, Bella. Au faite, appelles-moi Eli, juste Eli. J’ai beau aimé mon prénom qui me vient d’un roman de Jane Austen, j’aime également les surnoms. Sinon, je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais je crois voir que tu as un léger faible pour le pti jeune à la houpette. Conseil d’ami : Divertis-le ! Ce mec a besoin de sortir. Mais si ça se trouve, je me trompe complètement et tu as ton copain méga baraqué qui m’attend dehors pour me mettre une rouste. T’es bien célibataire ?

Je plongeai mon regard rubis dans le sien, noisette – assez banal pour une fille – et lui souris franchement. Je l’aimai bien, et je sentais cela n’était pas demain la veille que je ferai un feu de camp avec son corps. Certes, cela restait pour le moins tentant, mais bon, Edward m’en voudrait à mort, puisque c’était sa protégée.

_ Ah que les mecs sont compliqués ! Crois-moi ! J’aime le même garçon depuis – vite, vite un mensonge – dix ans. Et je ne sais pas si ce dernier a remarqué mon existence.

Si seulement, je pouvais verser une larme. Je n’étais qu’une pitoyable immortelle qui attendait que Démétri vienne vers moi. Nan, c’est décidé, j’allais aller vers lui.

_ Et au faite, tu n’es pas gauche Bellouille, c’est juste… on va dire que le sol n’est pas entièrement plat.

Je dis ça, tout en éclatant de rires.

Eli se révéla rapidement volubile. Ainsi donc elle avait entendu parler de moi. Je l’écoutai, ne pouvant m’empêcher de me demander si c’était un bien ou un mal. Après tout, étais-je vraiment de ces gens dont on parle en leur absence ? J’ai toujours eu le sentiment d’être de ceux qu’on oublie dès qu’ils ont franchit le pas de la porte.

… je crois voir que tu as un léger faible pour le pti jeune à la houpette. Conseil d’ami : Divertis-le ! Ce mec a besoin de sortir. Mais si ça se trouve, je me trompe complètement et tu as ton copain méga baraqué qui m’attend dehors pour me mettre une rouste. T’es bien célibataire ?

Je tressaillis, et piquai instantanément un fard magistral. Bon sang, étais-je si prévisible ? Renée se plaisait souvent à dire qu’elle pouvait lire en moi comme dans un livre ouvert. Je commençai à croire que cela était vrai… il n’y avait qu’Edward qui visiblement ne comprenait rien au fonctionnement de ma cervelle.

« Non ! » Des regards curieux et réprobateurs se tournèrent vers nous. Ne pas crier dans une bibliothèque. Je ravalai difficilement ma salive tandis que je tentai de contenir mon embarras. « Je suis effectivement célibataire. » repris-je derechef, espérant ne pas avoir d’autre accent d’hystérie. « Mais pour le sortir ou le divertir, faudrait déjà qu’il en ai envie non ? »

Et çà, c’était loin d’être gagné. Les sautes d’humeur d’Edward avaient tendances à me donner le tournis. Et j’ignorai totalement s’il appréciait ma compagnie ou non. Eli me vrilla de son regard sombre. Elle était très belle, dans le style poupée de porcelaine. Mais il y avait quelque chose de dérangeant dans son regard. Une sorte d’anneau pourpre qui encerclait ses pupilles leur conférait un éclat étrange. Hypnotique. Je me sentais encore plus banale qu’avant.
Je ne pu m’empêcher de me comparer à elle lorsqu’elle déclara être amoureuse du même garçon depuis dix ans. Je me voyais bien dans une décennie à palpiter dès qu’Edward Cullen serait dans les parages. Moi, décrépie, et lui, toujours aussi beau et parfait. Il semblait figé dans cette perfection. En tout cas, dans mon esprit.

« Le sol pas entièrement plat… » répétai-je en souriant. L’image était plutôt juste. « Y a de çà oui. Et entièrement rempli d’embûches à mon intention »

Je me demandai quels genres de liens pouvait bien entretenir Eli avec les Cullen. Le fameux garçon, était ce l’un d’eux ?

« Tu connais les Cullens depuis longtemps ? Tu es apparentée avec eux ? » demandai-je alors, espérant ne pas être trop indiscrète.

Décidément, elle ne lâchera pas l’affaire. Je vais lui répondre quoi ? Nous sommes trop semblables avec les Cullen pour que je raconte n’importe quoi ! Une cousine ? Oui c’est ça, j’étais une cousine éloignée. Faudra que j’appelle Alice pour lui dire… Elle allait me tuer, mais je n’allais pas la manger sa précieuse Bella. Beaucoup trop féminine à mon gout.

_ Je suis leur cousine. Enfin, je suis la cousine de Rosalie. Je ne sais pas si tu es au courant, mais ils ont été adoptés…

Grand dieu, merci ! J’avais entendu cette version mille fois. Carlisle jeune et beau médecin, père d’une petite famille parfaite. Génial, maintenant je me sentais comme le petit canard. Je n’avais plus de famille, plus d’amoureux, plus rien.

Cette fille avait de la chance, c’était mon jour de bonté. J’allais donc lui donner un ou deux conseils sur Edward.

_ Alors pour sortir Edward, il faut se lever le matin de bonne heure. Apparemment vous avez l’air d’avoir les mêmes goûts. Parles-lui de Debussy et de clair de lune. Il joue également un peu de piano. Et enfin c’est un garçon torturé qui doute énormément de soi, rassures-le !

J’avais lâché ça dans un sourire et pris le premier bouquin qui me passait sous la main. Je savais que cette jeune fille était curieuse… Pis je me sentais d’humeur bavarde…

_ Si tu veux me questionner sur l’homme que j’aime ou autre chose, n’hésites pas !

Je me tournai vers elle, et lui servis mon sourire colgate blancheur avant de retourner à pseudo lecture. Je savais qu’elle allait encore m’embêter mais j’adorais ça. Pis si jamais une question me gênait, je pourrai toujours l’assommer ?